Meilleur sommelier des Amériques, Pier-Alexis Soulière produit son sirop d'érable à l'ancienne

Publié le par Jean Bernard

75 secondes dans la vie de Pier-Alexis Soulière, producteur de sirop d'érable. (images Marie-Pier Fortier)

Oubliés le costume et la cravate, bien rangée la médaille d'or de Meilleur sommelier des Amériques 2018, laissé au repos le tire-bouchon... Avec la barbe qui mange une partie de son visage, les traits marqués par le froid et son blouson à gros carreaux, Pier-Alexis Soulière a changé d'image. Il ressemble désormais à un coureur des bois. Exactement ce qu'il est devenu depuis quelques semaines.

« L'arrêt de l'activité de la restauration au Canada et de tout ce qui en découle pour moi comme le consulting, la formation ou les événements privés, m'a permis de concrétiser un projet que j'avais en tête depuis longtemps. » Un projet qui l'éloigne du vin pour un temps. L'enfant de Saint-Pierre-Baptiste, commune de quelques centaines d'habitants à une heure de Québec et deux de Montréal, a tout simplement eu envie de renouer avec l'histoire familiale qui fait des Soulière des producteurs de sirop d'érable reconnus.

« En revenant dans la province en 2018, j'ai concrétisé une première fois en achetant une récolte sur le principe du négoce. Mais je voulais aller plus loin et produire moi-même en maîtrisant tout de A à Z. Mon oncle, propriétaire d'une érablière de 1200 arbres dont certains ont plus de 300 ans, m'a permis de reprendre l'activité et d'exploiter environ un tiers de sa forêt. Ici les écoles ont été fermées le 13 mars et six jours plus tard je commençais à entailler les arbres... »

40 litres de jus d'érable pour 1 litre de sirop

Dans cette région, au pied des Appalaches, Pier-Alexis rappelle que les premiers colons étaient originaires d'Ecosse. « Des éleveurs qui produisaient aussi du sucre au printemps car les sols et le climat, ici, sont favorables au développement des érables. »

Les Français arrivés ensuite et leurs descendants ont conservé ce savoir-faire et lui ont parfois même donné une dimension très éloignée de l'artisanat que prône aujourd'hui le sommelier. « Le dernier sucre produit dans la cabane construite il y a plus de cent ans dans la forêt, date de 1981. Une cabane en bois dur qui a bien résisté. Simplement, il n'y a ni eau ni électricité... » Pier-Alexis qui a découvert le lieu seulement en novembre dernier a trouvé une source puis l'a canalisée. Il a aussi remis le matériel en état de fonctionnement afin d'être prêt lorsque l'eau commencerait à couler dans les chaudières, les seaux métalliques accrochés à chaque arbre.

« On perce l'écorce et on glisse un chalumeau (en fait, un petit tuyau) dans le tronc qui permet de récupérer l'eau dont on extrait ensuite le sucre. Il est primordial de récolter ce jus avant l'apparition des premiers bourgeons. Les conditions météos sont essentielles. La nuit doit encore être marquée par le gel et la journée, lorsque la température remonte, c'est là que l'eau tombe goutte à goutte dans les chaudières. Dans une bonne coulée, un arbre peut donner huit litres, mais c'est rare. La moyenne haute se situe plutôt entre deux et trois litres... » Il est alors indispensable de préciser que pour produire un litre de sirop, Pier-Alexis aura dû récolter quarante litres d'eau issue des arbres !

Respect de l'arbre pour récolter à son rythme

Il estime donc sa production à 150 litres cette année. Une goutte dans un océan canadien qui assure 80% de la production mondiale. Et surtout bien peu au regard des efforts demandés. Mais pas question pour lui d'utiliser les systèmes d'aspiration qui permettent d'extraire de beaucoup plus grandes quantités de jus de l'arbre. « Avec la technologie, le goût du sirop a changé. Et puis, en aspirant on agresse l'arbre alors que moi, comme les anciens, je veux m'adapter à son rythme. Cette manière de travailler, j'y crois. Mais pour la concrétiser, j'ai dû trouver quelques producteurs suffisamment âgés pour avoir connu cette époque et donc capables de me donner des conseils. »

Et parmi ceux-ci il a suivi à la lettre celui incitant à la patience. « Beaucoup entaillent les arbres dès le premier dégel, en février. Moi j'ai attendu mars pour débuter ma vendange (sic!). Dès que tu fais le trou, l'arbre essaie de cicatriser, de se défendre. Donc au moment le plus favorable de la récolte il risque de donner moins. »

"Pourquoi se donner la misère ?"

Une approche que beaucoup d'autres producteurs ne comprennent pas. « C'est plus dur, demande plus de travail et la production est moindre. ''Pourquoi te donner de la misère ainsi ? '' me demandent-ils. Moi je le sais et c'est l'essentiel ! »

Pier-Alexis a donc passé des jours puis des semaines entre ramassage des chaudières dans la forêt et cette cabane où, sous l'effet d'un feu intense, il fait bouillir le jus afin de provoquer l'évaporation qui permettra de ne conserver qu'un sirop bien concentré en sucre. « Ensuite, je filtre et je conditionne... »

Enfin, il a lancé la mise en vente (pour en savoir plus, contacter Pier-Alexis par e-mail ou via whatsapp : pier@pasouliere.com). « Pour moi c'est une année de test, d'apprentissage. Mais mon métier reste celui de sommelier et si une opportunité me convient de reviendrai avec plaisir en restauration. »

Et de conclure avec la pointe d'humour qu'il pratique toujours : « Je suis né dans le sirop et mon choix du vin paraissait un peu absurde aux gens qui m'entourent. Mais après ce détour, je reviens au sirop traditionnel et cela aussi leur paraît farfelu... »

Qu'importe, l'important c'est que Pier-Alexis sache où il veut aller !

Photos Marie-Pier Fortier.
Photos Marie-Pier Fortier.
Photos Marie-Pier Fortier.
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